•    La barque dérivait lentement sur l'océan infini. La jeune femme à son bord, attendant qu'il fasse nuit pour espérer pouvoir se situer vaguement puis se diriger, était accoudée au bord de sa coquille de noix qui était sa seule chance de retrouver un la terre, ou du moins quelqu'un qui pourrait l'y emmener. Elle s'était retrouvée seule, quelque heures plus tôt, en plein milieu de la mer sous le soleil accablant de midi, ne sachant pas pourquoi elle était là. Il lui semblait avoir un trou de plusieurs jours dans son cerveau. Pensive, elle regardait le soleil qui dardait ses derniers rayons. L'océan avait une teinte violette qu'elle adorait, mais à ce moment son esprit était bien loin du crépuscule. Les étoiles qui apparaîtraient bientôt en haut du firmament pourraient alors contempler de leur perchoir cette petite barque portée par les légers courants, avec à son bord une belle jeune femme aux cheveux blonds ondulants dans la faible brise qu'on trouvait loin des côtes, dans la belle lumière chaude du début de la nuit. Des étoiles d'or brillaient à ses oreilles, en écho à celles d'en haut qui la saluaient. Le col de son grand manteau noir lui chatouillait le menton mais elle n'en avait que faire. Malgré tout, il lui semblait que, bien qu'indistincte, l'ombre de la mort planait quelque part derrière elle, et il lui semblait entendre, à travers le bruit du roulis contre la coque du canot, quelque sinistre grincement provenant de la faux que la mort prenait avec elle.

    Son esprit était sur la Comète des Mers, son navire qu'elle chérissait tant. La veille, ou peut être une semaine plus tôt, après un abordage qui fut un succès, au partage du butin, pour une raison inconnue, ses gars qui savaient se montrer patient et compréhensif quant à leur part, avaient dû se rebeller contre elle. Elle ne voyait pas d'autre raison pour expliquer le fait qu'elle se retrouve abandonnée, sans vivre ni eau, avec juste la force de ses bras pour pouvoir ramer et la rapporter à un lieu plus clément que celui, au caractère changeant, de l'océan. Il lui semblait se remémorer une énième beuverie, et un énorme mal de crâne, puis le noir. Plus rien d'autre n’apparaissait dans son esprit après ceci. La gueule de bois venait après le trou noir au réveil le matin normalement. Pourtant, elle n'avait pas cette sensation de lourdeur, ni d'être encore perdue dans les vapes de l'alcool. Elle passa sa main dans ses cheveux, et la grosse bosse qu'elle sentit sous ses doigts lui apporta l'explication qu'elle cherchait. On avait du l’assommer. Qui ? Pourquoi ? Comment ? Tous ses marins étaient autant voir beaucoup plus pour la plupart sous l'effet enivrant du rhum. Et pourquoi ne l'avaient-ils pas tuée ? Au moins, ils auraient été sûrs qu'elle ne leur causerait plus de problèmes. Ses chances de survie, bien que minimes, étaient présentes.

     

    Les premières étoiles naissaient dans le ciel. La plus brillante, l'étoile du nord, apparut à la perpendiculaire imaginaire de l'endroit où s'était couché le soleil, logiquement. La disposition des constellations, très semblable à celle qu'elle observait chaque soir et chaque matin avant l'aube, lui apprit néanmoins qu'elle se trouvait loin de toute terre, recensée sur ses cartes, du moins. Elle se prit la tête dans les mains. Le désespoir ne l'accablait pas encore, mais elle savait que si elle ne trouvait pas vite une idée, il finirait tôt ou tard par arriver et amoindrir encore considérablement ses chances de se sortir de cette situation.

     

    Les étoiles se reflétaient sur le miroir d'eau lisse et infini qu'était l'océan. Le ciel n'était jamais plus beau que la nuit, constellé de lointains astres, non dissimulé par l'éclat de la lune qui ne montrait qu'un croissant. Au fur et à mesure, d'autres étoiles apparurent dans l'eau, sans qu'elle s'en rende d'abord compte. Elle finit par baisser les yeux de sa contemplation muette du ciel, ayant décidé de ramer vers l'est aussi longtemps qu'elle le pourrait, plus ou moins portée par les courants qui allaient plutôt dans cette direction. En prenant les rames et les mettant dans l'eau, elle s'aperçut enfin de l'anormalité de sa situation. L'eau brillait de mille feux, bien plus que la lune là haut perchée au dessus d'elle. Elle avait déjà entendu parler de pareille chose, mais sans jamais vraiment y croire. Cet étrange phénomène était dû à la présence de plancton luminescent, mais elle ne pouvait le savoir. Elle observait, fascinée, l'étrange ballet des légères volutes phosphorescentes qu'il y avait. Cela lui semblait un bon présage. Pourquoi des anges marins se montreraient-ils, sinon pour son bien ?

     

    Elle ferma les yeux quelques instants. Quand elle les rouvrit, sans raison précise, elle se mit à chanter. Son chant venait du plus profond d'elle, mais aussi du plus profond des âges, et du plus profond des fonds marins. Sa voix était envoûtante, bien que personne ne fut là pour l'entendre, quiconque aurait été présent aurait été subjugué par la magnificence et l'émotion qui ressortait de cette mélodie sans réelles paroles. Peu à peu, sans qu'elle ne s'en rende compte tout à fait, les tourbillons lumineux s'écartèrent pour faire place à d'étranges visages qui sortaient de l'eau. Elle chantait, sans savoir pourquoi, sans savoir ce qu'elle disait, sans savoir d'où elle connaissait ce chant sans comprendre. Les êtres de l'eau lui répondirent, en chantant eux aussi. Leur chant avait une tonalité bien différente, semblait être faite d'eau, la voix qui sortait de leur bouche donnait l'impression de ne pas pouvoir être écoutée sans encourir on ne savait quoi après, que ce soit en bien ou en mal. Tout autant que leur chant était saisissant leur visage. La peau lisse, bleutée, des traits fins, des yeux sans réelle couleur, perçant l'âme comme des braises, une chevelure ayant l'air d'être faite d'algue mais plus douce, fournie et brillante que la queue touffue d'un renard. Les êtres de l'eau ne sortaient pas de celle ci plus haut qu'au niveau du buste, mais les planctons lumineux c'étaient collés tout contre le corps de ses étranges créatures, dont on pouvait voir, grâce à la légère lumière, un bas de corps semblable à celui de n'importe quelle créature marine. Ces sirènes, pouvait elle clairement les appeler à présent, bien qu'ayant la partie supérieure du corps de mêmes dimensions que le sien, avaient leur queue longue facilement d'une demi douzaine de mètre chacune. De légères nageoires aussi transparentes que des ailes de fées apparaissaient tantôt, donnant des airs de légèretés aériennes à ces puissants membres ayant parcouru bien plus que 20 000 lieues sous les océans, sous plusieurs tonnes d'eau sans doutes parfois.

     

    Quand le chant s'arrêta, les êtres de l'eau se turent à leur tour. Ils restèrent quelques instants, avant de replonger silencieusement dans les profondeurs abyssales, leurs queues brillant de plus au pus faiblement au fur et à mesure qu'ils s'éloignaient.

     

    L'océan semblait vide de toute vie. Si elle n'avait su les merveilles qu'on pouvait y trouver, elle se serait crue perdue au milieu d'un néant liquide. Aucun son, aucun vent ne venait créer de légères ridules sur l'eau qui pourtant étaient toujours présentes habituellement. Il semblait que le courant même avait disparu, que la barque ne bougeait plus d'un iota sur la vaste surface. Rien ne troublait le silence.

     

    Tout d'un coup, il lui sembla sentir le vent sur son visage, venant directement en face d'elle. Elle se rendit peu à peu compte que ce vent étrange n'était dû qu'à la vitesse du canot qui, poussé par une force inconnue, se dirigeait seul vers une destination qui l'était tout autant. Une traînée lumineuse se voyait dans l'écume derrière le petit bateau, qui allait, vite, plus du vite, prenait de la vitesse étonnamment rapidement. Le vent dans les cheveux, les mains crispées sur les rebords de son compagnon de bois, bien que légèrement effrayée, elle se sentait libre. Libre, et vivante. L'immensité face à soit, la solitude, les profondeurs inexplorées de l'espace, un vent qui n'existait pas mais qui était pourtant bien présent...

     

    Menée sans le savoir par le chant des sirènes, elle s'évadait, loin, bien loin, à un endroit où, même sur la Comète de Mers, elle n'aurait osé rêvé aller...


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